Nous poursuivons notre chemin vers Cuverville, par 64°41 Sud et 62°38 Ouest.
Le bateau finit son trajet en slalomant entre des icebergs monumentaux et bleutés. Il longe une côte de couleur marron et à la neige sale. Les yeux plein de soleil s’habituent et identifient enfin d’innombrables manchots tels des statuts sur leurs rochers. A mesure de notre progression, les petites têtes curieuses aux becs orangés des papous nous suivent du regard. Une odeur de poisson pas frais vient ajouter une dimension à ce tableau.
Le cadre est somptueux. Les sculptures glacées bougent au gré des marrées. Les sommets enneigés nous entourent. La manchotière ajoute la vie et l’odeur. Une vague de bonheur m’envahit dans la contemplation de ce décor de cinéma. Même si j’aime immortaliser cette scène sur image photographique figée, ceci ne saurait décrire l’impression de vie et d’énergie qui se dégage de ce site d’exception. Nous sommes chanceux.
A peine le bateau au mouillage, un léopard des mers, curieux lui aussi, tourne autour du voilier. Nous nous sentons acceptés par cette nature.
Ma première réaction est une nouvelle fois de contempler cet animal à la fois majestueux et vraiment impressionnant.
Mais Laurent ne l’entend pas de la même façon, et fonce bille en tête se mettre en tenue de plongée, appareil photo en main. Tangui et Jacques le suivent de près.
Dans toute cette agitation, je finis par retrouver la motivation malgré la fatigue des longues immersions sur les baleines du matin.
Ma combinaison presque enfilée, je vois depuis le pont du bateau le léopard s’éloigner avant l’arrivée des premiers apnéistes. Je temporise ma préparation. Mais Tangui et Laurent, encore une fois, ne lâchent pas l’affaire, progressent et espèrent encore l’interaction avec l’animal. Ils profitent du site pour quelques immersions anodines le long d’un iceberg. Au bout de quelques minutes, j’aperçois 3 têtes dans l’eau à côté du bloc de glace. Le contact est établi.
Je saute dans l’annexe, embarque Joël pour des prises de vues exceptionnelles. Et nous nous dirigeons discrètement vers le lieu de la rencontre, le coeur battant par un brin d’empressement accompagné d’une bonne dose de stress. Je trouve mes compagnons frigorifiés mais des étoiles plein les yeux.
La scène est surréaliste. Ce grand prédateur s’offre à eux avec curiosité et calme !
Rassuré par ces impressions, l’envie de les rejoindre et de partager ce plaisir prend le dessus sur la crainte. Je m’immerge lentement pour ne pas perturber la communion entre les apnéistes et l’animal emblématique.
Tout de suite, elle effectue une danse de bienvenue. Chacun jauge l’autre. Ses yeux ne nous quittent pas. Je ne saurai évaluer précisément son gabarit, mais elle mesure plus de 2,5m. Il se dégage d’elle une impression de puissance. Mais aucun mouvement de tête, aucun lâché de bulle traduisant une éventuelle agressivité. Je savoure l’instant. Guidé par Laurent, je tente des immersions pour mieux me fondre dans son milieu et être encore plus en osmose avec la léoparde.
Nous sommes les témoins que sous ce nom de prédateur sanguinaire peut aussi se cacher un être paraissant doux et gracieux. La distance de sécurité qu’elle nous impose inspire vraiment confiance. La sensation de froid disparait au profit de la chaleur de cette rencontre. L’instant est d’une puissance extraordinaire.
Nous nous pensions déjà privilégiés mais Dame nature a vraiment voulu nous en mettre plein les yeux. Un deuxième individu vient s’ajouter au ballet. Mais cette femelle est moins pudique. Elle est bien plus grosse, près de 4 mètres. Sa tête parait démesurée. Elle passe sous nous sans aucune crainte. Son aplomb impressionne toute l’équipe qui se fige momentanément en surface.
Cependant, ces 2 animaux aux tendances dominantes ne peuvent cohabiter dans la nature sans rapport de force. La plus impressionnante impose sa présence auprès de la plus petite par quelques coups de tête, gueule grande ouverte sur des dents acérées. Nous n’existons plus à leurs yeux. Nous sommes simplement spectateurs privilégiés de cette scène de la vie sauvage. Le tableau est magnifique. L’impression de puissance de ces animaux nous fait prendre pleinement conscience que nous sommes petits dans ce monde et doit nous convaincre de mieux le respecter.
Je suis émerveillé par ces colosses qui se dandinent avec une grâce infinie devant nous. Je n’ai pas peur. Je pense mesurer le risque.
Au bout d’un long moment d’éternité, la grosse femelle semble un peu plus nerveuse et nous fait comprendre qu’il est temps de les laisser tranquilles.
Mes yeux sont remplis de ces images merveilleuses. La sagesse nous aide à quitter ce moment follement émouvant. Nous regagnons le voilier à la rame, suivis de près par ces animaux presque plus impressionnants vus hors de l’eau. Elles nous accompagnent dans nos quartiers. C’est certainement leur façon à elles de revendiquer leur territoire.
Nous sommes aux anges. Plus les jours avancent dans cette aventure, plus l’émotion grandit à chaque nouvelle rencontre. Que nous réserve demain ?
Olivier