A Juliette, Gaspard et Antonin. Des gros bisous tout froid.
Hier, nous quittons Cuverville pour rejoindre Hovegaard avec la ferme intention de profiter du cimetière des icebergs avant la tombée de la nuit. Nous arrivons vers 17h. Au loin les sculptures de glace reposent en paix. La lumière douce de l’horizon les éclaire comme des diamants de glace translucide.
Sur certains des éclats, du bleu profond. Cette glace explose au grand jour sa couleur, sa lumière enfermée depuis des siècles. Elle est cerclée de doux flocons de neige éternelle.
Nos yeux absorbent cette beauté. Tangui, Jacques, Olivier et moi pensons à une seule chose, nous fondre dans l’eau.
Jean-Yves nous approche de cet iceberg. Au milieu, l’eau turquoise nous rappelle celle des lagons, à l’intérieur une piscine.
Nous glissons dans l’eau. Il y a du courant, nous palmons un peu plus fort pour atteindre notre objectif. Surprise, Olivier et moi observons de suite un tombant abrupte de glace. Plusieurs failles sont creusées dans cette imposante architecture.
Je me ventile, calme mon souffle, tente de relâcher tous mes muscles. Je suis prêt. Je prends ma dernière inspiration plus progressive, plus intense que les précédentes.
J’amorce mon canard, mes palmes s’immergent, je commence à palmer. Vers 7-8m, je suis déjà en flottabilité négative et je me laisse descendre calme le long de cette falaise de glace.
Je glisse, vertical, léger dans cet univers de bleu froid. Des petites bulles d’air remontent, l’érosion de l’eau de mer les libère de leur prison gelée. Elles s’évadent vers la surface comme des petits ballons lumineux chantant leur joie de liberté.
Ces petites bulles d’oxygène, si précieuses, si riches, à nos immersions glacées, alimentent nos cellules, nos muscles endoloris par le froid pénétrant jusqu’aux os.
J’évolue doucement vers le bas. Ce moment n’est pas long mais il est très intense. La combinaison s’écrase et je prends rapidement de la vitesse. Je fleurte avec l’iceberg, cette eau bleue m’ennivre. Je me freine, demi-tour, je ne veux pas finir 100m plus bas d’après les informations du sondeur… Il faut déjà palmer fort pour m’extirper de cette zone de flottabilité négative.
Puis face à cette falaise, je me prends pour un alpiniste sans piolet, je l’arpente. Pendant cette lente remontée, j’inspecte ces crevasses de glace, brutes, saillantes, ma main caresse ses douces parois. Je me demande comment la nature peut faire des choses aussi belles …
Je flotte vers la surface avec toutes ces bulles d’air comme du champagne. En surface, c’est une explosion de bonheur, je suis heureux !
Je saisi cet instant et je m’en imprègne par tous mes sens, il ne sera bientôt plus qu’un souvenir…
Hier enfant, je rêvais de « la face cachée de l’iceberg »…Que pouvait-il bien se cacher sous les 8/10 de ce monstre de glace ? Aujourd’hui grâce à l’apnée, je perce ce mystère enfantin !
Et ce rêve prend encore plus de valeur car il est partagé, avec mes amis, toutes les écoles qui nous suivent, les partenaires et tous les gens qui nous soutiennent et que nous ne connaissons pas !
C’est alors qu’un léopard timide serpente cet amas de glace, curieux de surprendre des apnéistes tenter de lui ressembler. Il observe cette scène de loin, son tempérament, certainement réservé ne le fera pas s’approcher plus prêt. C’est une rencontre très pudique, réciproquement respectueuse. Nous le laissons assouvir sa curiosité comme il nous laisse emprunter son glaçon. C’est peut-être cela l’harmonie ou l’osmose ?
Ces glissades vers le fond continuent, tour à tour. Tangui, Olivier et moi sommes immortalisés par la caméra de Jacques et quelques unes de mes photos. Le ballet des glaces, cette danse amicale d’immersions accompagnées par ses petites bulles qui chantent leur libération prochaine, nous remplit de joie.
Et je sais que la dimension que ces apnées procure, une pureté, une force jamais atteinte jusqu’à présent . Nous sommes venus vivre ces instants de rêves partagés et l’Antarctique nous les offre …
Laurent