Vers les abysses du cercle polaire Arctique…

Au fur et à mesure de l’apprentissage de l’apnée débuté en 2009, j’ai découvert un sport fabuleux, des passionnés, des amis. La compétition, les stages, les rencontres, malheureusement un drame avec la disparition de mon ami Eric Buonagurio parti chasser seul dans la baie de Ville-Franche-sur-Mer alors que nous étions juste à côté. Tout cela m’a permis d’obtenir une expérience, des compétences, des connaissances théoriques, physiques, psychiques sur moi, les autres, le milieu dans un environnement qui reste dangereux. L’apnée est un sport, un loisir qui demande incontestablement une approche professionnelle. Aujourd’hui, la mort d’Eric me laisse avec des séquelles et je pense à tous ceux qui ont perdu un ami, un proche dans l’élément. Je tente de continuer différemment, de profiter encore plus pour ceux qui ne sont plus ici. C’est un moteur pour moi.
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Mon métier de Sapeur Pompier que j’exerce depuis maintenant 10 ans plus 3 ans de volontariat, m’apprend le travail en équipe, connaitre, reconnaitre, analyser les risques, les anticiper, y faire face en respectant des manœuvres, des protocoles, des conduites tout en se remettant en cause et en s’adaptant sans cesse aux nouvelles techniques qui évoluent. Pour ces plongées sous la banquise, je ne peux m’empêcher de faire des liens. A certains moments, notre travail de Sapeur Pompier nous confronte à de grandes contraintes d’adaptation physique. Nous devons gérer notre stress en exécutant des tâches complexes dans des endroits à risques. Le feu par exemple, diamétralement opposé à la glace, cependant il s’agit de températures extrêmes. Le chaud, le froid. Dans toute opposition nous pouvons facilement faire des parallèles.

Il faut savoir que nous Sapeur Pompier, nous nous engageons toujours en binôme, pour une question de sécurité. Nous sommes tous entrainés, physiquement et techniquement. Je sais que je peux compter sur mes collègues et qu’ils pourront compter sur moi en cas de problème. C’est un métier engagé, un engagement auprès de moi-même, pour être utile « sauver des vies », de mes collègues, des victimes, des animaux, des biens et de mon pays. Nous avons cette « chance » d’intervenir pour n’importe quelle classe sociale, âge, origine confondu sans distinction. Malheureusement et heureusement pour d’autres, nous sommes souvent la dernière roue du « carrosse » pour certains de nos concitoyens.

Lors de mes formations, je me souviens d’un discours que j’ai complètement adopté. Être pompier, c’est l’être dans la vie de tous les jours aussi.

Imaginons un départ pour feu, nous devons dans un premier temps nous équiper, mettre notre EPI (Equipement Personnel Individuel). Je synthétise… c’est une tenue textile qui nous sert de protection thermique, une cagoule, un casque, des gants, des bottes.

Une fois dans le fourgon « FPT » Fourgon Pompe Tonne, nous mettons notre ARI, il s’agit d’une bouteille d’air fixé sur un harnais (comme un sac à dos) qui nous permettra de respirer grâce à un micro-régulateur clipsé sur le masque lui-même fixé sur le casque.

Nous respirons grâce à ce dispositif. Une bouteille gonflée à 300 Bars, notre air est donc limité, il est en rapport direct avec notre consommation, donc nos efforts, notre stress. L’un des deux pompiers du binôme est muni d’une cagoule pour éventuellement extraire une victime prise au piège des fumées. Ce qui, en revanche accroit la consommation.

Cet équipement nous permet de nous engager dans des situations très extrêmes. Nous sommes reliés par des « autoroll » comme des cordes sur un enrouleur et attachés au tuyau pour retrouver notre chemin. Sur certaines interventions, j’ai quand même vu avec mes collègues la visière de nos casques bruler, fondre sous la chaleur très intense. Lors des reconnaissances, nous sommes la plupart du temps dans le noir et la fumée, nous avons développé des compétences. Au fur et à mesure des interventions contraignantes, des manœuvres à rechercher des victimes dans des endroits confinés, enfumés, incendiés avec des potentiels risques d’aggravation (explosion de fumée, effondrement etc…). Dans le noir, nous développons une vision tridimensionnelle et périphérique, des endroits que nous reconnaissons. Nous devons utiliser nos sens pour toucher par exemple les victimes, sentir la chaleur, écouter les bruits annonciateur de risques (fuite sur bouteille de gaz, signe des explosions de fumée etc…)

Nous privilégions toujours le secours aux victimes puis l’extinction. Les deux peuvent d’ailleurs se faire simultanément car plusieurs binômes peuvent être engagés dans le même feu.

Nous communiquons avec des radios et rendons compte à tout moment de la situation à notre chef d’agrès qui lui même rend compte au chef de groupe. Il peut en effet avoir plusieurs fourgons « FPT » sur la même intervention, plus une ou des échelles pour d’éventuelles sauvetages, des ambulances « VSAV », infirmiers, médecins etc… Tout dépend de l’ampleur de l’incendie. Nous avons donc plusieurs visions à différents niveaux : au contact du feu, à l’extérieur, vision d’ensemble pour le chef de groupe.

Pour la plongée en apnée dans le froid extrême comme pour un incendie, il faut s’équiper pour se protéger. Nous prenons une combinaison, jersey extérieur donc résistante et lisse intérieur 7mn, nous utilisons le modèle Celsius. Topstar équipe L’Âme Bleue depuis maintenant 3ans. Je n’aime pas les combinaisons plus épaisses. Plus le néoprène est épais plus il t’éloigne des sensations d’immersion, il faut ajouter des plombs mais une fois le néoprène compressé par la pression de l’eau, nous descendons comme des pierres. Ensuite, j’ai choisi des chaussons d’un centimètre, des moufles 3 ou 2 doigts 7mn. Le froid, comme nous le savons, s’échappe par les extrémités, nous les privilégions. Masque petit volume pour ne pas dépenser trop d’air à la descente pour la compensation. Palme Breier 82 cm en carbone dureté 3. J’aime beaucoup les longues palmes d’Eric pour un palmage long, ample, lent, esthétique. Ceinture de plomb 7kg avec une sous-cutale pour la poser sur le bassin et préserver son dos.

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Pour plonger sous la banquise, le long d’un iceberg, c’est une autre histoire! Il faut constituer une équipe. Jérôme Maison, Kevin Peyrusse présent l’été dernier, étaient sur un autre tournage. Jacques Le Lay caméraman du film « Un monde de glace »comme toujours enthousiaste, motivé était forcément incontournable. Au fur et à mesure de notre aventure, nous sommes devenus amis. Les pôles sont révélateurs ou des accélérateurs, parfois ils séparent les gens pour d’autres ils renforcent les amitiés.

Cédric qui soutient les expéditions corps et âme est mon binôme. Florent Dumas, je l’ai rencontré lors d’un festival d’aventure à Lyon. Vidéaste, il aime les « Hommes » et adore les filmer. Il a une expérience de terrain. Souvent parti en Afrique, ses vidéos m’ont beaucoup plu. Les Inuits s’expriment peu, sa manière de filmer peut les faire parler. Mon père pour les photos, il aura la vision du chef de groupe, pour apporter une vision globale de reportage photo à l’expédition.

Eric Brossier est notre contact sur place c’est avec lui que nous avons pensé au projet. Il a une longue expérience dans le froid, plus d’une dizaine d’hivernage. Il plonge depuis plus de 4 ans avec les Inuits, il a beaucoup appris en leur présence.

Pour creuser un trou dans la glace à -35°C. C’est un travail d’équipe. Il faut se relayer et gérer son effort. Pour l’occasion Johny et Jaypootie sont venus creuser la glace.
Dans un premier temps, il faut :
– Charger tout le matériel sur le skiddo.
– S’habiller chaudement pour le transport car le froid ressenti dépend de la vitesse, mais pas trop de façon à ne pas transpirer sur place.
– Choisir un endroit (Johny avec son expérience a choisi l’endroit parfait)
– Déposer le matériel
– Diviser l’équipe pour commencer le travail.
– Monter la tente.
– Mettre le matériel à l’intérieur.
– Allumer le réchaud à l’extérieur, le réguler.
– Mettre le réchaud à l’intérieur.
– Relayer les autres au trou avec la tarière (c’est comme un tire bouchon à moteur géant qui creuse la glace, nous devons faire une découpe carré)
– Avec une pelle enlever l’excédent de glace
– Pousser le bouchon de glace avec une perche en métal (si cela ne marche pas, casser le bouchon de glace en plusieurs morceaux et l’extraire)
– Enlever l’excédent de glace
– Filtrer les grosses particules de glace avec une passoire jusqu’à CE que l’eau devienne claire.
– Installer le dispositif de sécurité (Bout qui sert de repère)
– Souffler et se concentrer pour la suite:

Jacques se change le premier. Il est équipé d’une tenue étanche Topstar la même qu’en Antarctique. Dans la tente, il fait environ 20°C, l’espace est réduit mais tout va bien. En revanche, Joël et Florent reste continuellement à l’extérieur, -35°C parfois -40°C avec un léger vent de 20 km/h. Il accroit la température négative, nous parlons dans ce cas de température ressentie (environ-50°C).

Imaginez-vous, faire des réglages techniques sur votre matériel. Ils enlèvent leurs gants pour être précis, de suite leurs doigts gèlent au contact du métal. Ils s’enfoncent toujours un peu plus dans l’hypothermie. Parfois quand le froid et trop intense, les écrans des appareils numériques gèlent, empêchant toute prise de vue. C’est extrême pour le matériel, les hommes.

Plus tard le pantalon de Florent explosera en lambeau avec le froid. Mais ils sont là et fond leur job sans se plaindre. Par moment Florent fait une brève apparition dans la tente pour se réchauffer, une chaleur illusoire de quelques minutes s’offre lui pour protéger ses membres de l’hypothermie puis il retourne dans le froid glacial. Par moment, en silence, je culpabilise « mais dans quoi je les ai embarqué » je ne dit rien. Le doute n’a pas sa place ici. Nous avons des objectifs.

Le soir, nous nous questionnons. Comment es-tu ? Vraiment ? Personne ne joue, nous nous ressentons et chacun est honnête avec soi-même et surtout avec l’équipe soudée. Nous ne souhaitons pas nous mettre en danger et nous élaborons notre stratégie pour le lendemain.

Cédric et moi, nous nous changeons. Du savon, de l’eau chaude, nous enfilons nos combinaisons en prenant notre temps. Pendant notre préparation, nous respirons, nous parlons, nous nous concentrons, nous nous conditionnons. L’air extérieur est à -40°C, l’eau est à -1,8°C.

Sur la banquise l’iceberg fait une quinzaine de mètres de hauteur, le trou est à plus de 20m. Sous l’eau, la visibilité, l’iceberg nous permettra de nous localiser. Un « bout », une corde jaune descendant du trou jusqu’à 20 m de profondeur nous sert de repère. Nous avons fait qu’une entrée, elle nous servira également de sortie. Nous souhaitons évoluer en « Homme libre ». Avec Cédric, nous avons fait le choix de ne pas nous longer. C’est un peu comme si vous demandiez à un funambule de s’attacher.

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C’est le moment, Jacques quitte la tente avec son matériel, Eric l’aide et gère sa sécurité. Il est tenu par une ligne guide. Ils ont élaboré un code de communication pour faciliter la plongée. En même temps, il guette les ours. La principale difficulté pour notre cameraman c’est le givrage. A tout moment, malgré son matériel adapté et ses détendeurs « Poséidon » ils peuvent givrer en entrainant un débit constant incontrôlable de son air. Cela signifierait la fin de la plongée. Il doit gérer son immersion mais il doit aussi faire les images. Rien n’est simple, l’équipe est réduite. Le matériel exposé au froid casse comme du verre. Jacques n’est pas novice, cela fait des années qu’il plonge. Il est capable de faire des images à -80 m de profondeur. Il ne prend pas de risque et nous nous organisons pour le mieux mais les plongées restent engagées pour tous.

Joël et Florent sont en place pour les images. Jacques s’immerge, place à nous. Nous ne savons pas ce que nous allons découvrir. Voilà plus de 3 ans que j’attends cette plongée.

Nous nous asseyons sur la glace ressentons le froid qui pénètre notre combinaison, il ne faut pas trainer. Cédric se met à l’eau, je le suis. Nous respirons calmement, je suis en pleine conscience là où j’ai toujours voulu être, je suis heureux et je m’imprègne de ce moment de bonheur. Cédric inspire l’air à -40°C puis s’immerge, je le précède. Sous l’eau nous embarquons dans un autre monde…Juste à côté de nous une autre planète. L’iceberg s’enfonce dans le sable à 30m sous la banquise. Ce géant, n’accepte pas son enfermement hivernal. Il fracture la banquise tout autour de lui, laissant apparaitre un anneau de lumière blanc. Des éclairs bleus s’échappent de ce glaçon sculpté par l’érosion du courant. Parfois la banquise craque dissipant des bruits sourds impressionnant. Ils retentissent en nous. Envoutés par cette musique, nous plongeons au cœur de l’hiver explorer les failles de la banquise, cet iceberg est traversé par une veine bleue glaciale comme foudroyé par un éclair .. Je plaque mon corps contre l’iceberg pour écouter ses murmures. Je regarde la profondeur de cette veine pour entrevoir son cœur et sentir son pouls. Par moment, je reste sous la banquise le corps allongé en regardant les bulles d’air évoluer le long de ce toit de glace. Certaines sont emprisonnées, figées dans la banquise, le spectacle est fabuleux. Le son, la lumière, la couleur rendent ce monde vivant.

Cédric évolue progressivement en s’empreignant de cet univers. Ses apnées sont de plus en plus longues et profondes. Plus tard, il parlera d’un monde « sidérant »

A tout moment, nous devons être capables de localiser le trou. La progressivité est de mise. Plus le temps passe, plus nous profitons de l’immersion. Gérant tous nos paramètres : profondeur, déplacement allé et retour, temps. Jacques, Cédric et moi gardons toujours un œil attentif sur l’autre pour savoir où nous évoluons.

Bouleversé, envouté, je me laisse descendre, concentré sur mon relâchement, le froid n’a plus d’importance, il est en nous et nous l’acceptons. Mon métabolisme ralentit, j’entends mon cœur battre, mon sang devient peut-être comme les veines bleues de l’iceberg. En flottabilité négative, je vole vers les abysses du cercle polaire Arctique. Au fond, le glaçon touche le sable comme un navire échoué, il s’est fait surprendre par l’hiver et ne peut se libérer par son couvercle de glace. La débâcle au mois de Juillet lui redonnera sa liberté…. Patience. Je remonte le long de la quille massive, je me sens petit, insignifiant dans cet univers. Hier les aurores boréales, aujourd’hui une plongée « sidérante » l’arctique révèle peu à peu ses secrets. C’est un tout, impalpable, insaisissable, nous flirtons avec ses essences.

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Au bout d’une heure, une fatigue intense nous envahit. Les temps d’apnée diminuent. Nous sortons de l’eau, notre combinaison gèle instantanément. Les gouttes sur notre cagoule se figent. L’eau qui coule de notre masque se transforme en stalactite. Nous allons dans la tente pour nous changer puis Jacques. Nous devons ranger le matériel et cela nous demande beaucoup d’énergie. Joël, Jacques, Eric ont froid. Nous devons rentrer reprendre des forces pour le lendemain.

Tous heureux, nous avons réussi en équipe.