Petite brise, ciel dégagé, allez aujourd’hui on va à la « chasse » aux phoques !
Depuis notre annexe, nous contournons la manchotière de Hovegaard. De très nombreux growlers de toutes tailles ponctuent la surface et nous imposent de nous faufiler entre eux et trouver des couloirs libres pour avancer. Je demande :
– C’est quoi la tache sombre sur cette plaque à 10 heures ?
Une approche lente à la rame et Jérôme affirme :
– Un crabier !
Le mammifère ouvre un œil, puis le referme. Il n’a pas l’air de vouloir jouer avec nous.
– On va le laisser tranquille !
On continue notre petit tour. Bientôt, plusieurs formes se reposent sur des plaques très proches de la manchotière, complètement encerclées par le pack de glace qui recouvre toute la surface de l’eau. Nous avons du mal à nous frayer un chemin à la rame. En poussant sur les blocs et tous les morceaux qui petit à petit s’ouvrent, l’embarcation se faufile.
– C’est un léopard !
C’est le phoque qu’on espérait.
Très doucement nous nous immergeons dans cette surface de glaçons. Je découvre cette sensation inconnue et un peu pressante. Nous devons pousser les blocs avec nos mains pour avancer. Par une réaction en chaine, ils se referment aussitôt derrière nous. On se sent un peu emprisonné et tenaillé dans ce milieu.
– ça va les gars ?
– No prob !
On avance doucement. C’est une femelle. Elle n’est plus qu’à quelques mètres. Tranquillement, on s’avance vers elle pour lui parler.
– Allez, viens ma belle ! Viens nager avec nous.
La léoparde bronze paisiblement sur sa plateforme de glace et se dandine sans trop nous prêter attention. Nous restons à distance et multiplions les tentatives d’interactions, sans succès.
En l’espace de quelques minutes, l’ensemble des blocs portés par le petit courant et la petite brise se sont déplacés de manière totalement anarchique.
– Attention derrière toi ! Un bloc va te pousser !
Effectivement ça pousse. Heureusement, notre combinaison permet de repousser certaines arrêtes tranchantes des glaçons. On les contourne. On les repousse. Le pack c’est vivant !
Notre léoparde n’est décidément pas très réceptive et nous dédaigne de quelques bâillements en arborant son impressionnante dentition de prédateur carnassier.
– Allez, viens ! Viens faire ta belle qu’on te prenne en photo !
Rien à faire. C’est alors que Laurent propose :
– Les gars, on va passer sous sa plateforme et lui faire un petit coucou par dessous. Ok pour vous ?
– Carrément !
Laurent part le premier. Il descend en « phoque » sous le brash. Et oui, on ne peut pas faire de canard dans cet enchevêtrement de glaces ! Il effectue les quelques mètres qui nous séparent de la plateforme en apnée. Un peu plus tard, il réapparaît derrière la plateforme de la léoparde en nous disant :
– J’ai gratté le bloc, mais on ne la voit pas en transparence.
– Elle n’a pas bronché !
Olivier se lance à son tour. Il réapparaît une minute plus tard, à côté de Laurent, sans avoir plus de succès avec la léoparde !
A moi ! La tête en dehors de l’eau, concentration, inspiration calme, expiration et go ! Immersion en phoque, compensation, descente à 3 mètres, retournement.
Waouh ! Je ne vois plus le trou d’où je suis parti. Il s’est déjà refermé. No prob ! J’avance vers la plateforme de la léoparde. La voilà, plus grosse et plus épaisse que le pack. J’arrive à peu près à l’endroit supposé de sa position. Je m’arrête, collé à sa surface lisse inférieure. Je donne quelques bons coups de poings pour essayer de faire bouger la belle. No prob ! Je continue ma petite apnée en rampant à l’envers de la plateforme vers la sortie. No prob ! Ah !! Voilà c’est un peu plus clair par-là ! Ça doit être la fin de la plateforme. No prob ! Mais je sors où là ? Il y a des blocs partout. Tout est fermé. C’est qu’ils sont gros quand même !! Il n’y a pas de trou pour sortir là ! Petit instant de solitude. Réflexion. Les autres sont bien sortis eux alors pas de raison que moi je n’y arrive pas ! Je continue. Tiens des palmes ! Ils sont là ! Oui mais… le pack est bien fermé autour d’eux ! Je fais comment là ??? Pas le choix, il faut y aller ! Les bras tendus, je pousse les blocs pour me frayer une place dans cet enchevêtrement. Deux coups de palme et je sors la tête. Je suis encore tout ahuri de cette nouvelle expérience hors du commun ! No prob !!!
– Waouh ! Les gars, j’ai eu un petit moment de stress là dessous pour ressortir du pack !
– Ha ha ha ! On ne te l’avait pas dit mais on savait ce que ça faisait pour l’avoir déjà vécu en 2010 ! :o))
– Sympa de me prévenir les gars ! :o)) Merci pour la sensation en tout cas !
Notre léoparde n’a pas bougé d’un poil. On va devoir la laisser tranquille et tenter notre chance un peu plus loin.
– Attendez ! On la refait ! Je veux encore ressentir cet emprisonnement du brash, ce plafond au-dessus de moi !!!
Il faut revoir pas mal de nos références dans ce nouveau monde. C’est magique ! Et voilà, quelques apnées plus tard, cette nouvelle sensation est bien imprimée dans notre expérience d’apnéistes des glaces. No prob ! ;o)
Tangui
Petit lexique :
– le pack : c’est le début de la banquise plus ou moins épaisse. Le bateau ne peut avancer qu’en cassant cette couche avec son étrave.
– le brash : c’est une agglomération de morceaux de glace plus ou moins gros qui couvre toute la surface de l’eau. Le bateau doit les écarter pour avancer.