Organiser une plongée au cœur de l’hiver ne s’improvise pas. Notre parole étant donnée, nous devions la respecter. L’équipe de l’Ame Bleue ne possède pas le matériel nécessaire pour organiser des plongées sous la banquise. Avec Florent, le vidéaste terrestre de l’aventure, nous décidons de demander de l’aide à la Communauté.
Nous passons voir Johny pour qu’il nous aide à percer la glace. Johny est un homme de parole, il nous demande à quelle heure?… A 9h?… Alors, il sera là dès 8h …pour le café! Tout au long de cette aventure, Johny est là pour nous prêter main forte, même le dimanche matin quand notre « skidoo » est en panne. C’est un bon début!
Nous devons maintenant trouver une grande tente. Nous sollicitons Stevie, « Chef des Rangers ». L’affaire est très vite réglée. Stevie nous donne rendez-vous le lendemain matin pour récupérer la tente. Marcosie, quant à lui, nous prêtera les réchauds. Nous aurons ainsi tout le matériel nécessaire! Avec Florent, nous ne sommes toutefois pas très à l’aise d’avoir dérangé les Inuits chez eux.
Au retour, dans notre maison bleue, nous informons Joël et Jacques de nos trouvailles. Demain tout dépendra de nous…La tâche sera grande et le travail qui nous attend sera long mais nous savons pourquoi. Faire plonger les enfants sous la banquise, leur montrer et partager cette vision infinie…
Le réveil sonne! Un grand jour nous attend. Je ressens l’effervescence des grands jours. Un petit déjeuner rapidement avalé, nous partons avec Johny, Jacques, Joël et Florent creuser cette glace dès l’aube.
Florent et Jacques commencent le travail. De mon côté, je pars chercher la tente chez Stevie. Au retour, je prête main forte, m’approchant des premiers trous masqués sous une purée de glace, je pose mon pied juste dedans et tombe comme « un gros sac » par terre. Johny éclate de rire, moi aussi : c’est le manque d’expérience. Florent fait des images, Jacques déballe la tente et Joël fait des photos. Samantha et son amie sont les premiers enfants à arriver. Nous sommes heureux de les voir, elles participent. Florent arrive pour nous aider mais en approchant, il met le pied dans le trou et tombe à son tour. Johny et moi sommes morts de rire, Florent rit aussi. Peu après, Jacques veut nous remplacer pour à son tour percer la glace, il approche sans faire attention et met le pied dans le trou de glace et tombe également. Nous éclatons de nouveau tous de rire, Johny doit se demander avec quelle équipe il est tombé!
Il est 11h. Le trou est terminé mais nous devons maintenant pousser le bouchon de glace sous la banquise. C’est difficile, nous devons le diviser en deux. Au bout de 30 minutes nous y arrivons ensemble. Le trou fait environ 1,50m sur 1,50, sachant que l’épaisseur de la banquise fait environ 80 cm, le volume de glace est énorme. La tâche a été rude, l’engagement important. Nous avons tous la barbe gelée, Florent a le pied gelé, pourtant il reste, souhaitant faire les images. Joël, Jacques, Joël et moi montons la tente au dessus du trou.
Ce qui se passe est merveilleux, l’équipe donne tout son amour pour ce projet, pour cette Communauté, pour ces enfants que nous voulons faire plonger. Eric arrive avec sa famille.
Le dispositif est enfin prêt. Des parents sont venus nous voir et les enfants ont hâte de plonger. Malheureusement, tout le monde ne pourra pas.
Pour commencer, nous faisons plonger le fils de Johny qui nous a beaucoup aidés. Samantha sera la deuxième. Une fois la combinaison enfilée, elle se jette à l’eau. Rien n’est simple, nous avons installé un bout attaché à une pierre qui repose à environ 4m du fond. Elle doit tirer sur cette corde pour partir vers le bas. Elle souffle reste en surface puis s’immerge. Je l’aide, elle arrive tout de même à observer le fond de la mer, des algues, des pierres qui habitent ce fond coloré. Son regard en dit long… elle est émerveillée.
Jacques est au fond, il immortalise ces moments. Joël fait les photos et Florent fait des allées et venues avec différents appareils pour filmer successivement à l’intérieur puis à l’extérieur. Pour eux rien n’est facile, le matériel subit les chocs thermiques. Ils sont tellement déterminés à assurer les images avec ces températures extrêmes qu’ils m’impressionnent.
Rapidement elle tremble, je sens son corps qui commence à vibrer par le froid. De suite, nous stoppons sa plongée pour la changer. Florent l’emmène dans la maison chauffée en face du trou.
Florent, Jacques, Joël, Johny donnent tout! Tout ce qu’un homme a de meilleur, sa force, sa volonté. Les efforts de l’équipe me laissent sans voix. Cela me touche au plus profond de moi. Nous portons le projet de L’Ame Bleue en chacun de nous. C’est en donnant, son cœur, son amour que l’on reçoit. Autour de cette plongée, nous avons créé un moment de fête et nous le partageons tous ensemble.
Tous les enfants se sont réunis autour du trou, observant calmement, attentivement et curieusement les différentes plongées. L’eau fume, une vapeur se dissipe dans la tente. Dehors il fait -25°C, l’eau est à -2°C pourtant nous plongeons et sommes tous heureux.
C’est au tour de Dion, fils de plongeur, c’est certainement le jeune le plus à l’aise dans l’eau. Depuis cet été, nous savons que c’est son élément. Il est comme un poisson dans l’eau. Il comprend vite la technique. Il descend presque au fond. En plus, il prend le temps de regarder durant de longues secondes. Il remonte, souffle et recommence, toujours plus profond et plus longtemps jusqu’au moment où ses pieds atteignent le sable et le stoppe. Il observe et regarde Jacques qui le film, sort son pouce puis remonte. Avec Jacques, nous rions, il remonte et je le dirige pour ne pas qu’il percute la banquise. Jacques nous rejoint et tous ensemble nous savourons cette réussite collective. Nous courrons ensuite dans la maison pour partager avec tous les enfants un grand goûter, regardons les images. Les enfants sont curieux de découvrir notre matériel. Nous partageons un grand moment. Il a y des jours comme ça, où la magie flotte dans l’air, elle nous marquera à jamais.
Tout le monde n’aura pas plongé. Au total entre l’été et l’hiver, trente enfants et six adultes se seront immergés avec nous. Ceux qu’ils l’ont fait, ne l’avaient peut-être jamais pensé dans leur vie. Grâce à l’investissement et au dépassement de Johny, Jacques, Florent et Joël, nous avons réussi. Malgré l’isolement, des choses sont possibles, ces enfants ont une curiosité, un dynamisme, une volonté que nous prendrons en exemple pour notre vie et peut-être demain, ils tenteront des choses qui leur paraissent inimaginables.
Laurent Marie