DIMANCHE 10 MARS

Encore couchés, nous entendons le glacier gronder et chuter dans l’eau, amenant quelques vaguelettes au bateau. Chacun se lève et ne traîne pas au petit déjeuner. Le dernier bain et les préparatifs du départ vont occuper toute la journée.
mouillage de Melchior - copie
Nous partons chercher le cimetière des baleines de Melchior, sachant que cette baie était un mouillage baleinier. On s’immerge près des chaînes, câbles abandonnés… Rien. Pour la dernière, nous faisons des séances photos souvenirs sur un petit iceberg et reprenons la route du bord. En montant à bord Laurent perd une palme…Nous allons la chercher. Dès les premières immersions, à défaut de palme, nous trouvons les disques et vertèbres de baleines, des traces de mouillage !!!! Plus loin Gilles repère une tête de baleine bleue… Le cimetière était sous nos palmes… Une raison supplémentaire de revenir. La palme retrouvée nous remontons à bord. Alex apparait en maillot pour un plongeon…Si un parisien le fait, deux bretons le font !!! L’égo…Loin du plongeon d’Alex nous faisons une immersion complète, trempette de 2′, qui valide notre bain Antarctique en maillot…ou sans.

Fin de l’amusement et rangement du matériel. Le départ est imminent, le pont dégagé de tout ce qui habitait notre champ de vision journalier : combinaison en pendant, linge à sécher, annexe supplémentaire sur le pont et une demie douzaine de paires de palmes à traîner.

Les baleines nous accompagnent à la sortie de la péninsule. Nous laissons les shetlands du Sud sur tribord, et avançons sur petite houle. Le soleil se couche et nous montre son disque vert. L’Antarctique se pare d’orange… Pendant le repas, le quart de nuit s’organise. 1h30 chacun à veiller les icebergs. La nuit est là, la voute céleste sans nuage éclaire la Mer. Un coup d’œil en surface, le reste dans les étoiles : les nuages de Magellan, Orion, la Croix du Sud…Quelques étoiles filantes, quelques vœux…

Franck

SAMEDI 9 MARS

Journée de transit d’Enterprise à Melchior. Immersion avec les baleines sous un soleil éblouissant. La visi’ sous marine est réduite, le spectacle est en surface. Paysages et animaux se mêlent pour un feu d’artifice naturel aux crépitements des appareils photos.

Retour à Melchior pour notre dernière soirée…

Franck

VENDREDI 8 MARS

Réveil sous la neige tombante. Pendant que tout le monde s’équipe, après le petit déjeuner, pour se mettre à l’eau, je prépare l’annexe pour aller faire  une collecte de plancton, d’eau, et une ballade sur les traces vestiges baleiniers qui jalonnent les rives.
baleineJe me préserve pour ce soir car j’aimerais me mettre à l’eau de nuit… Le voyage touche à sa fin et la fatigue du froid se fait ressentir, me restreignant à une sortie journalière. Seul Laurent est de toutes les mises à l’eau…

Cette longue ballade au fil de l’eau, au fil du temps, me projette au temps des baleiniers, quand la baie était emplie de bateaux, les rives de vie et de mort… Le temps des baleiniers… Un temps où le bleu de la Mer était rouge, où l’homme mitraillait plus au harpon, qu’il ne le fait au téléobjectif de nos jours… Et pourtant, malgré ces faits de nos aînés qui pourraient nous paraître peu glorieux aujourd’hui, j’ai de l’admiration pour le courage de ces hommes qui venaient ici, sans grib météo, sans gore tex et autre confort, inimaginable aujourd’hui… Nous sommes d’accord pour dire que c’étaient de vrais carnages, des boucheries sans nom, et que l’homme était indigne de ces terres et Mers originelles…

Et aujourd’hui? Que faisons-nous? Pas pire que nos ancêtres, qui sous couvert, comme nous, du sacro saint « il faut bien manger !! » pillons notre Mer, nos terres, sans inquiétude pour demain…Nous sommes les baleiniers sanguinaires qui saignons notre Mer, la laissons exsangue et vide à nos enfants. A défaut de solution, j’aimerais montrer à ces enfants ce qu’il reste de beau, qu’il y a des endroits où l’on peut voir des animaux qui n’ont pas peur de l’homme, qu’il y a des endroits où l’homme s’est pris en main pour les protéger… Peut être qu’ils arriveront à inverser la tendance. Ici nous rêvons le jour et dormons la nuit, au retour je me réveillerai…

Un coup d’œil sur le bateau, je vois les apnéistes rentrés à bord. Je les rejoins. L’épave est belle. L’hélice encore sur la ligne d’arbre colonisée par les gorgones locales. Les ossements de baleines jonchent le fond à proximité. Nous repartons tous ensemble pour une ballade sur terre. Dans la passie de montagnards nous découvrons un igloo creusé dans le glacier. Au sommet le panorama est…exceptionnel encore une fois. Après le repas de 15h, je repars avec Alex pour un autre plateau…Même résultat…
La nuit tombe, le matériel est prêt. Fin de repas, Laurent et moi nous mettons à l’eau. J’aime cette sensation de l’immersion de nuit, qui est la même à Portsall, Saint Malo où ici, même si ici, elle a une saveur particulière, le goût frais de l’Antarctique. Le Halo de nos phares éclaire les macro organismes qui viennent à nous.

À la descente sur l’épave nous rencontrons les gobies locaux posés sur les tôles effondrées. Laurent entre dans les cales du baleinier. Je le suis au travers des membrures du pont. Nous continuons nos immersions vers l’arrière. La profondeur augmente, mais le temps reste le même. L’échauffement est passé, nous sommes à l’aise et le spectacle splendide nous maintien au fond jusqu’aux spasmes. Minuit nous rentrons.

Franck

JEUDI 7 MARS

2h 30 du matin. Le bateau me berce doucement par le travers. Puis plus rien, le calme. La renverse de courant, le vent tombe. Le courant se lève. Un coup sur la coque, puis deux…des frottements…le pack vient vers nous. Quelques impacts plus forts. Je monte sur le pont, pas inquiet. Jean-Yves reste couché. Le courant de 2 nœuds environ fait passer la glace le long du bord. Ciel étoilé, Orion et la Croix du Sud brillent dans une Mer sans ride où se reflètent les montagnes. Les Glaciers grondent. Spectacle fascinant.
8h00 réveil. Un tour sur le pont. Un rorqual de Minke en ballade. Il doit manger, les sternes piquent dans ses alentours. On sort du mouillage. 3 baleines dorment, une mère, un petit et un ado. 2h avec elles, Laurent en tête de mat, Fred sur le pont, immortalisent les scènes inoubliables…
Prochaine chronique…un orque !

Franck

MERCREDI 6 MARS

Départ aux aurores de la Baie Paradise pour la baie de Cuverville. A peine sortis, Laurent se met à l’eau pour un prélèvement de plancton, secondé par Pierre. Le filet plein, nous repartons. Le transit est l’occasion de se mettre à l’eau avec les baleines à bosses, phoque léopard et enfin, miracle du voyage, sous des sternes Antarctique, des papous qui maroquinent et se laissent filmer. Nous passons la journée en combinaison, sous un soleil radieux, mangeant en terrasse.
A l’entrée de Cuverville nous talonnons, sans gravité pour le voilier, sur une sonde non indiquée, d’une zone mal pavée. Deux blessés légers à bord…
Alex et Laurent se remettent à l’eau pour une ballade. Fred, Pierre et moi allons à la manchotière de papous… Soirée paisible, sous la protection de la croix du Sud.

MANCHOTS

Franck

MARDI 5 MARS

Il pleut depuis 24h ….
L’eau est en moyenne entre -2 degrés et 0°  .
Les plongées répétées nous marquent le visage.

Ce matin, nous sommes allés chercher de l’eau douce puis nous avons découvert une manchotière peuplée de jeunes individus perdant leur pelage de juvénile. En face, sur les icebergs attendent patiemment les phoques léopards pour les dévorer.

Nous décidons l’après-midi de nous immerger à cet endroit même. Le terrain est propice aux attaques de léopards, cela peut être l’occasion d’assister à des scènes exceptionnelles.
Du voilier, nous enfilons nos combinaisons avec une marmite d’eau chaude et nous voguons à bord de notre embarcation à moteur vers une rencontre surréaliste…
Franck est le premier à se mettre à l’eau. Il veut faire des images de manchot entrain de marsouiner, car nous n’en avons pas pour le moment.

Devant nous, des icebergs, des châteaux blancs se dressent. Ils ont la forme de notre imagination, tantôt des trimarans de courses, tantôt des habitations futuristes …
Sur la droite une montagne de plus de 2000m de haut cohabite avec des glaciers qui viennent mourir en mer.
Une falaise noire, juste à côté crie haut et fort toute sa verticalité, plongeant à je ne sais quelle profondeur dans les abysses de l’antarctique.
De temps à autre un craquement, un grondement retentit ! Ce bruit terrible se diffuse dans mon corps et mon esprit, j’ai l’impression de capter l’intensité, la force de cet environnement brut, énergisant.

Gilles et Alex se mettent à l’eau dans cette baignoire gelée. Ils ont repéré un phoque léopard qui lézarde au soleil! Plutôt sur la glace avec ce vent qui te glace les os.
Je reste au bord avec Pierre. Nous discutons entourés de ces jeunes manchots. Je garde des séquelles, le froid et la fatigue, des deux plongées de la veille et fait quelques pompes pour me réchauffer. (Et puis faut garder la santé!!!)
Je me décide. Nous n’avons qu’une vie, l’eau me gèle le visage, le choc thermique est violent.

-2 degrés. C’est la première fois que je subis autant les effets du froid …
Tous, nous nous dirigeons vers l’iceberg qui est le refuge éphémère de ce phoque léopard.
Sur la parois de ce monument, du krill, entouré de petites bulles, élabore sa chorégraphie, sa danse sur la glace. Je me crois à Holiday on Ice, spectateur de cette crevette rose qui valse dans ce verre de curaçao pétillant….
Ce spectacle m’invite à continuer cette exploration, c’est à nous de faire les canards pour découvrir la fondation de cette arche de Noé, version l’âge de glace hypoxique.
Dessous s’élève justement une arche de plus de 5m de haut sous 15m de fond !

Franck, Gilles, Alex et moi avons trouvé notre nouvelle occupation en passant sous cette architecture spectaculaire. Ensuite Gilles et Alex s’assoient un moment sur l’iceberg et m’informent que la « lionne » vient de se jeter à l’eau.

 dauphin_antarctique

Nous décidons avec Alex d’établir le contact.
Franck et Gilles nous rejoignent très vite.
La communication s’établit sous différentes formes: tout d’abord l’observation. L’animal lit notre langage corporel pour savoir à qui elle a affaire. Voyant nos capacités d’immersion médiocres et notre vitesse de déplacement comparable à celle de l’escargot, cette femelle doit bien rigoler dans ses moustaches. Le regard est aussi très important: calme, tranquille, pacifique. Toutes ces impressions se retransmettent dans son attitude par des déplacements très lents et très calculés pour ne pas nous toucher et respecter une distance qui diminue au fur et à mesure des immersions.
Calé au fond sous l’arche, immobile, elle plane, vole, virevolte devant moi puis vient doucement à ma rencontre. Ses nageoires lui servent de pivot puis de frein et nous nous regardons de longues secondes……. Cette contemplation hors du temps, pacifique, bouleversante avec cet animal sauvage de plus de 2m50 de long et d’environ 250 kg, qui peut à n’importe quel moment décider d’une fin tragique en t’emmenant au fond ou en te déchirant avec ses dents acérées de 2cm, montre et prouve bien que le règne animal est parfaitement conscient des attentions que nous lui portons…

Laurent

MARDI 5 MARS

Nous appareillons de bon matin pour une navigation de 5 heures pour rejoindre Paradise Bay. Nous remontons vers le Nord. La visibilité surface n’est pas au rendez vous en embouquant le détroit de Lemaire. Le spectacle reste splendide. Le froid est là. La neige tombe sur la Mer et ne fond pas. Le pack se forme.

A l’ouvert de la baie des Flandres nous nous faisons un peu secouer. Nous prenons le chenal étroit entre l’île Bride et le continent avant d’entrer dans Paradise Bay.
Elle porte bien son nom. Une crique encaissée, surplombée de montagnes chargées de glaciers. Tout est net, dans les camaïeux de bleu clair, et de blanc. Sous la neige, nous nous préparons pour une mise à l’eau, sans objectif particulier. Une rencontre avec un léo, puis un crabier, et enfin des micro-organismes phosphorescents. Nous suivons des Minkes, en train de manger avant d’aller faire une immersion plus profonde le long d’une falaise de ferrite, aux reflets d’oxyde de cuivre. 200m de fond, personne ne l’atteint…Nous rentrons aux limites de l’hypothermie sévère pour certains. Laurent s’occupe de nos papilles en soirée par une partie de crêpes, saupoudrée de quelques musiques bretonnes remis au goût du jour par Nolwenn Leroy.

Franck

LUNDI 4 MARS

La pluie martèle le port, le vent fait hurler les haubans. Tout le monde reste couché. Il fait 6C°. Je me lève. Impossible de partir en zodiac. Début de mâtinée à trier les photos. Mes camarades se lèvent les uns après les autres. P’tit déj’ sans fin digne des samedis Kergueleniens du L7. Discussion, et repas de midi à 15 heures, au chaud, au calme, alors que dehors la dépression fait rage…

L’anniversaire de Fred est fêté dignement, des bougies du moteur faisant office de bougies d’anniversaire. Le vent se calme et tourne enfin. La pluie se transforme en neige. Après le champagne, sieste. Après la sieste, mise à l’eau vers 17 30. Gilles, Alex, et Laurent me larguent près de la manchotière, toujours dans l’espoir de filmer les manchots. C’est un phoque de Weddell qui me tient compagnie. Mes compagnons partent vers un énorme iceberg. Au bout d’une demi-heure ils reviennent me chercher pour un nouveau spectacle. Je quitte la manchotière bredouille, mais le nouveau tableau est époustouflant. La lune bleue, un autre monde. Nous sommes rejoins par Fred et Pierre, partis faire de l’eau avec l’autre zodiac. Séance de statique improvisée dans la piscine bleue du mastodonte. Sur le retour nous croisons une dizaine de léopards disséminés sur les glaçons. 20h30 à bord. La faim nous tiraille. La fatigue nous rattrape.

Franck

HOOVEGARD

Dimanche 3 Mars

Le coup de vent annoncé approche. Je pars de bon matin faire une collecte de plancton, en zodiac. Ballade en solo, le chalut à la main, les icebergs plein les yeux… une partie de l’équipage part faire de l’eau aux abords d’une cascade proche. En rentrant, je vais sur le rivage collecter du plancton des glaces, qui vit sur…la glace.

Cela fait 36 heures qu’il pleut. La dépression prend son temps pour passer et nous arrose copieusement. En fin d’après midi, nous allons à l’eau, malgré les conditions. Direction la manchotière. Je cherche toujours un plan de manchots qui marsouinent.

Sur un glaçon nous trouvons un léopard au repos et un autre qui tourne autour. Nous sommes quatre à l’eau. Apnée, agachon, nous l’intriguons. De plus en plus docile, il fait du statique en pleine eau, puis s’approche. Laurent se pose au fond, il vient à lui. Parfaite communion entre l’apnéiste et l’animal, avec comme décor une arche de glace à 8m, base de l’iceberg. En retrait je filme l’instant. En surface, le vent nous refroidit très vite. Je reste encore un peu à l’eau. Le léopard vient vers moi dans le courant qui me porte vers lui…Il m’évite et revient, et à tour de rôle on se retrouve au jus dans une farandole…

Toujours pas de plan de manchots… La nuit nous cingle au retour et ne cesse de la soirée, accompagnée de rafales. Nous dormons la nuit, et rêvons le jour.

L'ÉVOLUTION DE L'HOMME

Franck

SAMEDI 2 MARS

3H00 du matin : le vent fort pousse les glaçons contre la coque. Il faut les repousser avec l’annexe, au moteur. 3h de combat contre les éléments. La nuit est courte pour l’équipage.

Le jour se lève, le vent se couche. Nous partons en ballade sur les hauts de Port Charcot, vers le Cairn. Le point de vue est exceptionnel, encore une fois, embrassant le cimetière d’iceberg et l’archipel à 360°. A la redescende nous découvrons la lettre « F » dans la pierre. « F » ni pour Fred, ni pour Franck mais pour le « Français » nom du bateau du Commandant Charcot lots de son expédition. Cette marque servait de marégraphe. Quelques notes d’accordéon nous parviennent de l’Ile d’Elle. Jean Yves en répétition pour un concert Antarctique?

En début d’après midi nous appareillons pour Hoovegard, point sud de notre périple. La route nous fait passer au travers du cimetière d’Iceberg. Mise à l’eau avec les léopards de Mer. Un nouvel instant où les superlatifs sont restrictifs… Il y a une réelle interaction entre l’homme et l’animal…Un jeu… Une danse sans contact, juste un charme… L’animal nous charme, nous teste sans agressivité…
Nous repartons. Un transit au milieu de cathédrales de glaces vers notre mouillage… Un ketch est déjà là.

Franck