9 mars : le cimetière des icebergs

Position : 65° 04′ S 64° 05′ W

cimetière des iceberg

Depuis 2 jours, nous circulons dans le cimetière des icebergs ! C’est une baie qui emprisonne ces blocs de glace poussés par les courants de la péninsule Antarctique. Nos mots ne seront qu’un pâle reflet de l’exceptionnelle beauté de ce paysage, mais nous essayons quand même de vous transmettre ce que nous avons ressenti !

Imaginez-vous au milieu de centaines de sculptures de glaces de toutes formes, de toutes tailles, et de couleurs éclatantes … Tous ces icebergs flottent librement dans un enchevêtrement anarchique. Certains se touchent… Ajoutez à cela une luminosité cristalline qui reflète chacun d’eux dans le miroir d’une mer d’huile. Prenons encore un peu de recul et en levant les yeux, se découpe une falaise de roches et de glaciers multicolores. Certains sommets culminent à plus de 1000m de hauteur ! Toute l’équipe est sur le pont ! L’Ile d’Elle se faufile entre les blocs de glace, les contourne, et nous offre mille ombres et mille étincelles de toutes les facettes de ces cathédrales de glaces. Certains semblent sculptés à la main de l’homme tellement les coupes sont parfaites. Des alvéoles, des failles, des pics, des angles, des plateaux, tantôt lisses, tantôt rugueux; les formes et les textures sont à chaque fois différentes. Leurs flancs nous offrent des veines de glace aux infinies nuances de bleus profonds. Mais comment la nature arrive t-elle à produire de tels joyaux ? Certains iceberg biscornus forment des piscines dans leur centre, d’autres nous offrent des arches irréelles. Par transparence au travers de l’eau limpide, les formes plongent sous la surface et finissent par disparaitre dans un profond bleu turquoise. Petit clin d’œil à la « face cachée de l’iceberg » décrite par Laurent. Jean Yves se faufile entre 2 icebergs aux parois verticales plus hautes que le mat du bateau qui les frôle à quelques mètres de chaque coté. Le moment est magique. Le temps s’arrête. La lumière se reflète sur ces parois bleutées. Nous prenons tous conscience de l’exceptionnelle vision que nous offre ce lieu et que nous fixons ici en ce moment… Nous nous souviendrons encore longtemps de cet instant. Le décor est planté. Mais le spectacle ne s’arrête pas là ! Les nombreux petits glaçons qui dérivent tranquillement un peu partout sont autant de plateformes de repos pour les nombreux mammifères marins qui habitent ces lieux irréels. Nous longeons ces solariums improvisés et rencontrons tour à tour des otaries qui se dressent sur leurs nageoires à notre passage et nous montrent leurs longues moustaches, aussi curieuses que nous de ces visiteurs inhabituels. Plus loin ce sont des phoques crabiers qui paressent en groupe, insouciants de notre passage et ouvrent difficilement un œil à nos appareils photos. Notre œil maintenant aiguisé sait aussi reconnaitre la forme particulière des phoques léopard – seigneurs de ces eaux – qui se prélassent sur leur morceau de glace. Nous avons pu approcher des jeunes léopard mais aussi certains très gros spécimens qui peuvent largement dépasser les 3 mètres. Leur tête est extrêmement imposante. Quand parfois ils ouvrent largement la gueule, ils nous révèlent leur très impressionnante dentition ! Ajoutez à cela de nombreux groupes de manchots qui marsouinent ça et là, et vous avez un petit aperçu de l’incroyable richesse visuelle et émotionnelle que nous a procuré ce paysage féérique durant ces 2 derniers jours. Voilà notre brute émotion antarctique.

Tangui

L’Antarctique en questions / réponses

Quelle est la température la plus basse que vous allez affronter ? Quels dangers pouvez-vous rencontrer ? Que mangez-vous pendant un mois ? Comment sont les paysages en profondeur ? Combien de temps pouvez-vous rester dans l’eau glacée ?

Les réponses à ces questions intéresseraient-elles que les enfants ? Pas si sûr !
Alors on partage avec vous les questions posées par les écoles qui suivent l’aventure de très près et les réponses de nos aventuriers.

Questions 22-02-2014

Questions 27-02-2014

Questions 05-03-2014

 

6 mars : la face cachée de l’iceberg

A Juliette, Gaspard et Antonin. Des gros bisous tout froid.
iceberg 03
Hier, nous quittons Cuverville pour rejoindre Hovegaard avec la ferme intention de profiter du cimetière des icebergs avant la tombée de la nuit. Nous arrivons vers 17h. Au loin les sculptures de glace reposent en paix. La lumière douce de l’horizon les éclaire comme des diamants de glace translucide.
Sur certains des éclats, du bleu profond. Cette glace explose au grand jour sa couleur, sa lumière enfermée depuis des siècles. Elle est cerclée de doux flocons de neige éternelle.
Nos yeux absorbent cette beauté. Tangui, Jacques, Olivier et moi pensons à une seule chose, nous fondre dans l’eau.
Jean-Yves nous approche de cet iceberg. Au milieu, l’eau turquoise nous rappelle celle des lagons, à l’intérieur une piscine.
Nous glissons dans l’eau. Il y a du courant, nous palmons un peu plus fort pour atteindre notre objectif. Surprise, Olivier et moi observons de suite un tombant abrupte de glace. Plusieurs failles sont creusées dans cette imposante architecture.
Je me ventile, calme mon souffle, tente de relâcher tous mes muscles. Je suis prêt. Je prends ma dernière inspiration plus progressive, plus intense que les précédentes.
J’amorce mon canard, mes palmes s’immergent, je commence à palmer. Vers 7-8m, je suis déjà en flottabilité négative et je me laisse descendre calme le long de cette falaise de glace.

iceberg 02
Je glisse, vertical, léger dans cet univers de bleu froid. Des petites bulles d’air remontent, l’érosion de l’eau de mer les libère de leur prison gelée. Elles s’évadent vers la surface comme des petits ballons lumineux chantant leur joie de liberté.
Ces petites bulles d’oxygène, si précieuses, si riches, à nos immersions glacées, alimentent nos cellules, nos muscles endoloris par le froid pénétrant jusqu’aux os.
J’évolue doucement vers le bas. Ce moment n’est pas long mais il est très intense. La combinaison s’écrase et je prends rapidement de la vitesse. Je fleurte avec l’iceberg, cette eau bleue m’ennivre. Je me freine, demi-tour, je ne veux pas finir 100m plus bas d’après les informations du sondeur… Il faut déjà palmer fort pour m’extirper de cette zone de flottabilité négative.
Puis face à cette falaise, je me prends pour un alpiniste sans piolet, je l’arpente. Pendant cette lente remontée, j’inspecte ces crevasses de glace, brutes, saillantes, ma main caresse ses douces parois. Je me demande comment la nature peut faire des choses aussi belles …

iceberg 01
Je flotte vers la surface avec toutes ces bulles d’air comme du champagne. En surface, c’est une explosion de bonheur, je suis heureux !
Je saisi cet instant et je m’en imprègne par tous mes sens, il ne sera bientôt plus qu’un souvenir…
Hier enfant, je rêvais de « la face cachée de l’iceberg »…Que pouvait-il bien se cacher sous les 8/10 de ce monstre de glace ? Aujourd’hui grâce à l’apnée, je perce ce mystère enfantin !
Et ce rêve prend encore plus de valeur car il est partagé, avec mes amis, toutes les écoles qui nous suivent, les partenaires et tous les gens qui nous soutiennent et que nous ne connaissons pas !
C’est alors qu’un léopard timide serpente cet amas de glace, curieux de surprendre des apnéistes tenter de lui ressembler. Il observe cette scène de loin, son tempérament, certainement réservé ne le fera pas s’approcher plus prêt. C’est une rencontre très pudique, réciproquement respectueuse. Nous le laissons assouvir sa curiosité comme il nous laisse emprunter son glaçon. C’est peut-être cela l’harmonie ou l’osmose ?
Ces glissades vers le fond continuent, tour à tour. Tangui, Olivier et moi sommes immortalisés par la caméra de Jacques et quelques unes de mes photos. Le ballet des glaces, cette danse amicale d’immersions accompagnées par ses petites bulles qui chantent leur libération prochaine, nous remplit de joie.
Et je sais que la dimension que ces apnées procure, une pureté, une force jamais atteinte jusqu’à présent . Nous sommes venus vivre ces instants de rêves partagés et l’Antarctique nous les offre …

Laurent

5 mars : quelques instants de vie à bord

Baie de Hovgaard – 65° 06′ S 64° 05′ W

Aujourd’hui le bateau est cloué dans la baie. Le baromètre chute à 952mb, le vent souffle en tempête, une pluie glaciale mêlée de neige tombe, la grisaille est partout. Au cours de la nuit, je me suis réveillé en sursaut sans doute encore un de ces growlers qui touche la coque. Je n’ai plus de repère, je suis au milieu de nulle part.
Au réveil après le copieux petit déjeuner, la matinée à bord s’organise. Nous profitons de ce moment pour remplir nos obligations et répondre aux questions des écoles de Veynes et de Plourin. Jérôme en profite pour en faire une séquence du documentaire. Un débat s’engage entre apnéistes sur leur sport, leur passion.Les questions des enfants sont toujours très pertinentes.
Puis chacun vaque à ses occupations diverses, certains trient leurs photos, Tangui tente d’envoyer les mails à Orlane qui les retranscrit sur le blog.

L’heure du repas arrive. Au menu : avocat, omelette accompagnée de riz et crudités variées, des fruits en dessert. Les marins ne se laissent pas abattre. Une fois rassasiés quelques uns vont se reposer ou lire. Jean Yves, le skipper, en profite pour nettoyer et réactiver la pompe à eau de la douche. Au fait savez-vous comment se passent les douches à bord ? Par soucis d’économie d’eau douce, nous faisons chauffer une petite quantité d’eau douce dans une bouilloire. Lorsque celle-ci est bien chaude nous la mélangeons dans un sceau avec de l’eau douce récupérée à terre à l’aide d’un jerrican. A l’aide d’un gobelet nous nous mouillons et nous lavons, et nous rinçons de la même façon. La vaisselle à bord est nettoyée à l’eau de mer puis rincée à l’eau douce. Un tour de vaisselle est organisé entre les membres de l’équipage.

Il est 17h40, les apnéistes se décident, le vent a légèrement faibli. Ils optent pour une plongée près de la manchotière, là où il y a beaucoup de vie animale. Ils espèrent qu’un phoque léopard viendra à leur rencontre. 19h40, les apnéistes sont de retour à bord. Ils ont bien rencontré une femelle phoque léopard, mais Laurent précise qu’elle n’a pas cherché l’interaction. Au vu du lâcher de bulle de l’animal, ils ont interrompu cette relation afin de la laisser tranquille. Sur les profondimètres au cours de la plongée, la température de l’eau est mesurée à -1°. La douche est attendue avec impatience.
Le repas du soir apporte les nombreuses calories perdues au cours de la plongée. Une bonne nuit de repos est la bienvenue.

Joël

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Diapositive2

3 mars : plongée avec les léopards

Nous poursuivons notre chemin vers Cuverville, par 64°41 Sud et 62°38 Ouest.

Le bateau finit son trajet en slalomant entre des icebergs monumentaux et bleutés. Il longe une côte de couleur marron et à la neige sale. Les yeux plein de soleil s’habituent et identifient enfin d’innombrables manchots tels des statuts sur leurs rochers. A mesure de notre progression, les petites têtes curieuses aux becs orangés des papous nous suivent du regard. Une odeur de poisson pas frais vient ajouter une dimension à ce tableau.

Le cadre est somptueux. Les sculptures glacées bougent au gré des marrées. Les sommets enneigés nous entourent. La manchotière ajoute la vie et l’odeur. Une vague de bonheur m’envahit dans la contemplation de ce décor de cinéma. Même si j’aime immortaliser cette scène sur image photographique figée, ceci ne saurait décrire l’impression de vie et d’énergie qui se dégage de ce site d’exception. Nous sommes chanceux.

A peine le bateau au mouillage, un léopard des mers, curieux lui aussi, tourne autour du voilier. Nous nous sentons acceptés par cette nature.
Ma première réaction est une nouvelle fois de contempler cet animal à la fois majestueux et vraiment impressionnant.

Mais Laurent ne l’entend pas de la même façon, et fonce bille en tête se mettre en tenue de plongée, appareil photo en main. Tangui et Jacques le suivent de près.
Dans toute cette agitation, je finis par retrouver la motivation malgré la fatigue des longues immersions sur les baleines du matin.
Ma combinaison presque enfilée, je vois depuis le pont du bateau le léopard s’éloigner avant l’arrivée des premiers apnéistes. Je temporise ma préparation. Mais Tangui et Laurent, encore une fois, ne lâchent pas l’affaire, progressent et espèrent encore l’interaction avec l’animal. Ils profitent du site pour quelques immersions anodines le long d’un iceberg. Au bout de quelques minutes, j’aperçois 3 têtes dans l’eau à côté du bloc de glace. Le contact est établi.

Je saute dans l’annexe, embarque Joël pour des prises de vues exceptionnelles. Et nous nous dirigeons discrètement vers le lieu de la rencontre, le coeur battant par un brin d’empressement accompagné d’une bonne dose de stress. Je trouve mes compagnons frigorifiés mais des étoiles plein les yeux.

olivier et le léopard
La scène est surréaliste. Ce grand prédateur s’offre à eux avec curiosité et calme !
Rassuré par ces impressions, l’envie de les rejoindre et de partager ce plaisir prend le dessus sur la crainte. Je m’immerge lentement pour ne pas perturber la communion entre les apnéistes et l’animal emblématique.
Tout de suite, elle effectue une danse de bienvenue. Chacun jauge l’autre. Ses yeux ne nous quittent pas. Je ne saurai évaluer précisément son gabarit, mais elle mesure plus de 2,5m. Il se dégage d’elle une impression de puissance. Mais aucun mouvement de tête, aucun lâché de bulle traduisant une éventuelle agressivité. Je savoure l’instant. Guidé par Laurent, je tente des immersions pour mieux me fondre dans son milieu et être encore plus en osmose avec la léoparde.

Nous sommes les témoins que sous ce nom de prédateur sanguinaire peut aussi se cacher un être paraissant doux et gracieux. La distance de sécurité qu’elle nous impose inspire vraiment confiance. La sensation de froid disparait au profit de la chaleur de cette rencontre. L’instant est d’une puissance extraordinaire.

Nous nous pensions déjà privilégiés mais Dame nature a vraiment voulu nous en mettre plein les yeux. Un deuxième individu vient s’ajouter au ballet. Mais cette femelle est moins pudique. Elle est bien plus grosse, près de 4 mètres. Sa tête parait démesurée. Elle passe sous nous sans aucune crainte. Son aplomb impressionne toute l’équipe qui se fige momentanément en surface.

Cependant, ces 2 animaux aux tendances dominantes ne peuvent cohabiter dans la nature sans rapport de force. La plus impressionnante impose sa présence auprès de la plus petite par quelques coups de tête, gueule grande ouverte sur des dents acérées. Nous n’existons plus à leurs yeux. Nous sommes simplement spectateurs privilégiés de cette scène de la vie sauvage. Le tableau est magnifique. L’impression de puissance de ces animaux nous fait prendre pleinement conscience que nous sommes petits dans ce monde et doit nous convaincre de mieux le respecter.

Je suis émerveillé par ces colosses qui se dandinent avec une grâce infinie devant nous. Je n’ai pas peur. Je pense mesurer le risque.

Au bout d’un long moment d’éternité, la grosse femelle semble un peu plus nerveuse et nous fait comprendre qu’il est temps de les laisser tranquilles.
Mes yeux sont remplis de ces images merveilleuses. La sagesse nous aide à quitter ce moment follement émouvant. Nous regagnons le voilier à la rame, suivis de près par ces animaux presque plus impressionnants vus hors de l’eau. Elles nous accompagnent dans nos quartiers. C’est certainement leur façon à elles de revendiquer leur territoire.

Nous sommes aux anges. Plus les jours avancent dans cette aventure, plus l’émotion grandit à chaque nouvelle rencontre. Que nous réserve demain ?

Olivier

2 mars : rencontre avec les baleines

63°40′ S, 62°35′ W
baleine 02
Cette journée peut s’intituler « rencontre avec les baleines » car nous en avons rencontrés à plusieurs reprises. Impressionnante nature, ces montagnes qui tombent en des pentes vertigineuses au fond de l’océan. On semble prisonniers des amas de glace qui nous encerclent. Dans la grisaille, le soleil donne une touche de lumière pour rendre encore plus féérique le paysage. Un néophyte ne saurait s’y reconnaitre, trouver la sortie dans ce dédale de montagnes de glaces et d’iceberg. Notre skipper connait chaque endroit et lui seul sait tirer le fil d’Ariane et trouver notre route dans ce labyrinthe de glaces.

Les apnéistes sont téméraires mais toujours prudents. Il leur tarde de savoir si les baleines vont venir vers eux, objets de curiosité. Qui est le plus curieux des deux ? Si la première approche se termine par un abandon c’est que Laurent a bien senti que la baleine cherche à  protéger son baleineau, et ne cherche pas à  rentrer dans l’interaction. Nous ne souhaitons pas perturber la tranquillité de cette mère et de son petit en étant des intrus dans son territoire. Qu’à  cela ne tienne, les suivantes viendront spontanément tourner autour du bateau. Les apnéistes se mettent rapidement à l’eau. Les baleines les frôlent. Du bateau qui se tient à  une bonne distance, je vois ces énormes masses noires qui sortent de l’eau en soufflant. C’est un bruit impressionnant pour celui qui ne l’a jamais entendu. Je cherche dans mon viseur d’appareil photo les apnéistes qui sont à côté des baleines, têtes d’épingles dans cette nature démesurée. Impressionnant est le juste mot pour qualifier cette scène de rencontre. Ces hommes là aiment la nature ! Cela se sent, cela se voit. La passion leur fait oublier le froid qui leur pique le visage. Pour eux ce n’est que du bonheur …
Ah, j’oubliais qu’il y avait des otaries sur un iceberg et des rencontres de phoques, mais cela me semblait après coup si insignifiant face au spectacle que nous ont réservé les apnéistes et les baleines.

Journée magique, qu’il est impossible d’oublier. Nous avons des images plein la tête et plein l’appareil photo. Que la nature est belle. Qu’elle soit préservée telle qu’elle est. Dites le et faites le dire…

Joël

1er mars : « l’Antarctique, quel choc ! »

64°32′ S 61°59′ W

Je m’étais pourtant bien documenté, consulté les cartes, visionné les photos …
Mais j’étais à mille miles d’un début de prise de conscience des mesures hors norme que nous rencontrons.
Je suis parti avec mes propres références ; les côtes et les îles bretonnes, la plaisance côtière, un correct sens de l’orientation, un peu de montagne, une bonne connaissance de la vie aquatique locale …
Et ici en Antarctique c’est le choc ! Je dois revoir toutes mes références !

le choc antarctique
Commençons par la descente depuis Ushuaïa vers le cap Horn. Il nous a fallu une journée entière de navigation, alors que sur la carte ça parait tellement rapproché…
Et le Drake ! Pas si difficile me suis-je dit, ça parait pas si long … 500 miles quand même ! Je peux maintenant le dire : tant qu’on ne l’a pas vécu personnellement, on ne peut pas vraiment imaginer ce que c’est ! Plusieurs jours 24h/24 le bateau avance inexorablement bercé et parfois bousculé dans des creux de 3 à 4m et des vents « modérés » de 25 à 40 nœuds, pourtant portants… La vie à bord doit quand même se faire; quarts, repos, repas, météo, position, quarts, radar, repos, repas, météo, position … Quelle expérience inoubliable ! Le retour s’annonce plus difficile encore avec des vents souvent contraires …

Mon sens de l’orientation aussi en a pris un grand coup … On a beau le savoir qu’on est dans l’hémisphère Sud, mais quand depuis toujours vous vous basez sur la position du soleil au sud, et que du jour au lendemain pour descendre au Sud on doit ici avoir le soleil dans le dos, croyez moi, la transition n’est pas immédiate à intégrer ! Et pour compléter ma déstabilisation, je dois assimiler que les dépressions et anticyclones tournent dans le sens inverse de l’hémisphère nord ! pas immédiate non plus cette adaptation …

Mais ceci n’est rien comparé au choc suivant !
La carte marine désigne bien un petit ilot (Melchior) entre 2 îles plus grandes (Braband et Anvers). Mais lorsque nous pouvons enfin voir ces côtes au travers des nuages, ce sont des montagnes gigantesques qui nous entourent et qui s’étendent à perte de vue ! Ce ne sont que les prémisses de l’Antarctique. C’est seulement à ce moment que je me rends compte de la formidable échelle de cette terre. Ces ilots de la péninsule ne sont que les prémisses de l’Antarctique. Je dois absolument revoir ma petite échelle géographique … Je dois voir grand, beaucoup plus grand ! Bien au delà de la taille d’une région ou d’un pays … ne vous y trompez pas, nous touchons ici un continent ! Un continent aussi grand que l’Europe entière. Nous ne faisons que l’effleurer …

Et ce n’est pas fini !
J’adore la mer, ses côtes, ses mouvements et ses changements incessants d’une beauté toujours renouvelée. J’adore la montagne, ses valons et ses sommets enneigés et ses paysages somptueux. Mais jusque là il m’était inconcevable d’associer ces 2 éléments dans un même endroit !
Imaginez ! d’immenses parois de rocs tenaillés de glaces et de neiges qui jaillissent hors de l’horizontalité du niveau de la mer …
Ajoutez y un peu partout ces glaciers sans fin qui vomissent leurs icebergs en perpétuel mouvement aux circonvolutions improbables et aux formidables variations de couleurs sans cesse renouvelés. Pourtant c’est bien en mer que nous sommes !
Pour compléter ce tableau visuel, il faut rajouter quelques détonations tonitruantes qui me font sursauter … ce sont des blocs et des pans entiers qui cèdent à la montagne pour dégringoler la pente et se fracasser dans la mer.  Encore un choc !
Me voilà à nouveau déstabilisé de mes références ancrées de longue date par l’infinie richesse de ce mélange de décors.

Passons maintenant au choc suivant …
Même si parfois nous avons la chance de bénéficier d’un grand ciel dégagé, d’un soleil éclatant sur les sommets et sur les glaces étincelantes, la météo peut changer très rapidement. Les dépressions s’enchainent les unes derrière les autres à un rythme qui ridiculise nos 9 tempêtes successives bretonnes. La météo peut changer d’heure en heure. Nous subissons des brouillards qui apparaissent et disparaissent ou des vents changeants qui finissent par nous transpercer nos habits high-tech.
Les eaux ne sont pas plus accueillantes… Une température qui ne dépasse pas 2°, des cathédrales de glace qui dérivent inexorablement défiant les quelques voiles intrépides qui osent s’aventurer jusque là. Réjouissons nous, c’est l’été !

Je ne saurais finir ce petit tour d’horizon austral sans parler de l’extraordinaire vie animale qui s’est si formidablement bien adaptée à l’inhospitalité de ces lieux  !
Les animaux vivent et prospèrent partout où nous passons. Mais comment font-ils tous pour survivre à ce climat intenable pour les humains ?
Nous croisons otaries, phoques, baleines et manchots qui évoluent avec grâce et légèreté dans ces eaux et ce climat qui nous sont hostiles.
Tant d’aisance, d’aquaticité et de nonchalance a de quoi forcer l’admiration des apprentis apnéistes maladroits que nous sommes.
J’avais pourtant imaginé ces rencontres de nombreuses fois, mais j’étais très loin d’imaginer l’extraordinaire impact émotionnel que ces rencontres privilégiées pouvait procurer ! Un intense échange visuel et gestuel s’installe entre l’apnéiste et l’animal.
Encore une belle claque !

Toutes ces découvertes ont ébranlé ma perception de ce nouveau monde. Je dois m’attendre à d’autres chocs encore … Je ne sortirai pas indemne de cette aventure !

L’Antarctique, quel choc !

Tangui

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